J'ai quitté mon emploi stable pour être freelancer sur mon voilier et je ne regrette rien

Dire adieu à la sécurité d'emploi, est-ce une bonne idée?

Une personne est assise avec son ordinateur portable sur les genoux à bord de son voilier avec vue sur la mer en arrière-plan.

Tout quitter pour travailler sur un voilier, ça vient avec des avantages, comme le « décor » au travail.

Gracieuseté de Philippe Rodrigue

Serais-tu capable de quitter ta sécurité d'emploi pour travailler à ton compte en mode freelancer en direct d'un voilier pour poursuivre tes rêves? C'est ce que j'ai fait, avec les risques financiers et compromis budgétaires que cela comporte.

Voici pourquoi je ne regrette pas, absolument pas mon choix jusqu'à présent.

Entre toi et moi, j’espérais vraiment trouver le bonheur en commençant la vie professionnelle pour laquelle j’avais étudié si fort et pendant des années. Je me rappelle même que, parfois, je faisais la tournée des friperies avec ma mère et que j’achetais des vestons en me disant : « Ce sera beau quand je serai professeure. »

Finalement, j’aurai travaillé comme professeure de philosophie au cégep pendant sept années avant de partir vivre en voilier. J'ai toujours su que je voulais parcourir le monde. Je sais que ça peut sonner cliché, mais la pandémie m'a donné le goût de ne plus attendre. La vie peut basculer en un instant, alors aussi bien en profiter à fond quand on peut, avant d'arriver à la retraite.

J'aurai travaillé fort pendant sept années, en combinant parfois trois cégeps à la fois. Ironiquement, j’ai quitté mon emploi au niveau collégial en prenant un congé sans solde l’année suivant l’obtention de ma permanence. Avec ce statut d'emploi, je peux donc essayer un nouveau mode de vie pendant deux ans, avant de devoir faire le choix final : poursuivre ma vie nomade ou revenir enseigner au Québec.

Une personne est allong\u00e9e dans un hamac multicolore avec son ordinateur portable sur un voilier.C'est important de varier les postures de travail, disent les ergothérapeutes. Mon hamac sert aussi à ça!Gracieuseté de Philippe Rodrigue

D’ici-là, je conserve l’assurance maladie de mon employeur, mon expérience (une année sur deux de reconnues, selon la convention en vigueur) et je pourrais racheter mon fonds de pension qu'importe ma décision. Cette option serait toutefois coûteuse, parce que ça implique d'acheter ma part en plus de celle payée par l'employeur. Mais, cela signifie que mes deux années de congé seront converties en deux années de travail, pour le calcul de ma retraite. Aussi bien dire que je ne perds absolument rien à voyager!

De salariée à contractuelle

Comme professeure de philosophie au cégep, je gagnais bien ma vie. Mais en début de carrière, ma situation était plus précaire. La première année où j’ai enseigné, en 2016, je donnais deux cours de trois heures par semaine et je faisais un salaire de 685 $ net aux deux semaines. Mais en ayant obtenu ma permanence, je suis désormais garantie d’avoir un salaire annuel brut de plus de 65 000 $ (selon mon échelon et l’échelle salariale en vigueur). Je faisais environ 3 200 $ net par mois, en plus d’avoir des assurances, un fonds de pension et des vacances payées pour plus de trois mois par année.

Mais ces bonnes conditions de travail n’étaient pas suffisante pour me rendre heureuse. J’avais besoin d’un nouveau défi et de vivre l’aventure. Je suis donc partie du Québec à bord de mon voilier avec mon amoureux et mon chat, à l’été 2023. J’adore ce nouveau mode de vie parce qu’il est plus près de mes valeurs et il me ramène à l’essentiel. Toutefois, c’est bien beau voyager, mais il faut de l’argent pour vivre!

Pour gagner ma vie et ne pas dépenser toutes mes économies, me voilà freelancer, ou pigiste en français. Être pigiste, c’est travailler à contrat pour un ou plusieurs client.e.s avec le statut de travailleur.euse autonome. Cela signifie que je n’ai plus de salaire stable et que l’argent rentre en fonction des mandats que je trouve. Par exemple, je continue d’enseigner la philo, mais en privé et je demande 45 $ de l’heure pour aider les élèves qui éprouvent des difficultés dans leurs cours de cégep ou à l’université. J’ai créé mon site internet de tutorat en philosophie et je reçois des demandes d’aide périodiquement. Je donne au moins deux cours par semaine. En mi-session ou en fin de session, c’est beaucoup plus. En moyenne, je gagne 500 $ par mois avec mes cours de philo que je peux donner à distance, en direct de mon bateau ou sur une île des Caraïbes.

Travailler les pieds dans le sable

Je suis aussi collaboratrice pour Narcity Québec. J’ai présentement un contrat qui me donne un salaire moyen de 1 300 $ par mois. Comme tu peux le constater, on est loin du salaire de professeur au cégep avec mon 21 600 $ par an, mais j’aime vraiment ce que je fais. Mon budget mensuel « confortable » est actuellement de mille dollars. Alors, mes revenus (1 800 $/mois) me permettent de subvenir à mes besoins personnels et même d'avoir un petit coussin pour les imprévus.

J’ai écrit « confortable » entre guillemets parce que c’est vrai que je ne vis pas dans le gros luxe. Je ne me suis pas acheté de vêtements neufs depuis des mois et je vais rarement au resto - ça arrive,au plus, une fois par semaine. Je cuisine tous les repas à bord, sans jamais faire de gaspillage : on ne jette pas d’argent par-dessus bord!

Aussi, je planifie mes emplettes et fais preuve de créativité pour manger de manière équilibrée, mais à petits coûts. Par exemple, quand j’étais aux Bahamas, je cuisinais beaucoup de chou parce que ce légume se conserve bien et qu’il était moins cher que les poivrons, qui pouvaient coûter jusqu’à cinq dollars l’unité.

Les plus et les moins de la freelance

Être freelancer, c’est avantageux parce que je suis plus free – libre – dans ma vie. Je décide de mon horaire et du nombre d’heures que je vais travailler par jour. Cela m’offre la possibilité de voyager et, dans mon cas, de vivre sur mon voilier. La contrepartie est que je dois bien planifier mes rendez-vous en fonction de l’accès au réseau. Par exemple, je me suis retrouvée sans connexion Internet pendant plus de quatre jours (c’était interminable) quand on a traversé des Bahamas à la République Dominicaine. Mon éditrice est au courant et je prends la peine d’aviser l'ensemble de ma clientèle étudiante- qui trouve ça plutôt cool que je sois prof sur un bateau! De cette façon, tout le monde est au courant de ma situation lorsqu’il arrive quelque chose (comme l’ouragan Beryl, qui m’a obligée à changer les plans de navigation), c’est plus facile de m’adapter.

Un autre gros avantage de travailler en mode freelance est que la seule chose dont j’ai besoin pour travailler est un ordinateur portable. Du coup, la seule dépense que j’aie relativement à mon emploi, c’est la connexion Internet et elle est déductible d'impôt. Au Québec, je devais prendre la voiture ou l’autobus pour aller travailler et cela me coûtait au moins 200 $ par mois. Je devais aussi payer mon Internet résidentiel et mon téléphone cellulaire (80 $/mois). En plus, j’arrivais souvent fatiguée le soir et j’allais au resto (30 $), faute d'avoir envie de me faire à manger. La fin de semaine, je me payais des petits luxes comme aller à l’auberge avec mon amoureux (150 $). En tout et partout, ma vie me coûtait au moins 2 500 $ par mois et aucune dépense ne pouvait être déduite de mes impôts. Actuellement, je n’ai qu’un forfait cellulaire dominicain qui me coûte 170 pesos pour 8 GO aux cinq jours (oui, c’est bizarre). C’est 25 $/mois et c’est déductible!

Parlant d’impôts, lorsque j’étais enseignante, j’en payais énormément en fonction de mon salaire. Par exemple, pour un salaire de 66 000 $, mon taux marginal d'imposition était de 36,12 %, ce qui correspond à un total de 17 756 $. En revanche, en 2023, j’en ai retiré et ce sera encore le cas pour 2024, mon salaire annuel de près de 15 000 $ étant trop faible, selon le gouvernement. Il y a donc des avantages à vivre modestement, sur un voilier : je travaille moins et, en plus, le gouvernement m’en redonne au bout de la ligne, par exemple avec le crédit d'impôt pour la TPS et la TVH.

Bref, fiscalement parlant, ma situation actuelle est plus avantageuse, considérant que je n'ai pas beaucoup de dépenses, ni de dettes. Ce n'est pas parce qu'un métier est nécessairement plus payant, que tu en auras plus en bout de ligne dans tes poches. Il peut valoir la peine de calculer les frais afférents à un métier pour établir sa réelle valeur. Dans mon cas, le transport et les dépenses relatives à mon besoin d'évasion me coûtaient cher au Québec.

Je sais toutefois que je devrai revenir au Québec à l'été 2025, pour respecter les règles en vigueur avec la RAMQ. En effet, pour être couvert.e par le régime d'assurance maladie au Québec, il n'est pas possible de partir plus de six mois par année fiscale, sauf une fois aux sept ans. Dans mon cas, je suis couverte par l'assurance collective de mon cégep, mais mes assurances sont conditionnelles à mon adhésion aux règles provinciales.

D'ici là, je ne regrette pas du tout mon changement de carrière et je vais vivre à fond cette aventure. Qui sait? La prof que je suis adoptera peut-être la freelance!

Loading...